Singapour, le laboratoire des mobilités autonomes

Alors que la RATP vient d’annoncer la prolongation de ses expérimentations avec les navettes autonomes des marques françaises EasyMile et Navya à Vincennes (après l’arrêt des essais à La Défense), une autre ville, précisément une cité-état, est devenue en quelques années un gigantesque laboratoire à ciel ouvert de solutions de mobilités autonomes : Singapour.

Une vision et un plan

Contexte

Avec ses 6,2 millions d’habitants répartis sur un territoire réduit de 716 km2, cet état a l’une des plus fortes densités de population au monde derrière Monaco et un PIB par habitant aussi élevé qu’en Suisse ou au Luxembourg.

La gestion de la problématique des transports est donc cruciale pour l’un des quatre dragons asiatiques (avec la Corée du Sud, Hong Kong et Taïwan).

(Source Ministère des transports, Singapour)

Stratégie

Le plan Smart Mobility 2030 a vu le jour en 2014. La vision est clairement énoncée :

« Aller vers une communauté des transports terrestres plus connectée et plus interactive »

3 stratégies clé :

  • Implémenter des solutions de mobilité innovantes et durables
  • Développer et adopter des normes ITS (Intelligent Transport System)
  • Etablir des partenariats rapprochés avec les industriels (co-entreprises)

4 domaines d’intervention :

  • Information : optimisation des technologies de collecte, traitement dynamique de grandes quantités de données et outils d’analyse, standardisation des formats et des protocoles, outils de transmission et sécurisation des informations récoltées ;
  • Interactions : systèmes de gestion de flottes intelligents, outils de gestion du trafic, renforcement de l’intégration entre les services publics et les exploitants privés, gestion intelligente des carrefours, utilisation des réseaux mobiles et des données remontées par les utilisateurs ;
  • Mobilité assistée : infrastructures et véhicules connectés, boitiers intelligents (télématique) embarqués, véhicules autonomes ;
  • Mobilité verte : promouvoir l’utilisation massive des transports publics et des mobilités actives (marche à pied et bicyclettes), usage de véhicules électriques, développement des infrastructures « vertes » et utilisation de sources d’énergie alternatives.

Partenariats

La réalisation de ce plan ambitieux s’appuie sur des partenariats entre des agences publiques (comme le Land Transport Authority), des entreprises privées (Siemens par exemple mais aussi BMW, entres autres) et des instituts de recherche (IRT SystemX, Université de technologie de Nanyang NTU ou encore le MIT, etc).

Le Land Transport Authority (LTA) planifie, conçoit, construit et entretient les infrastructures et les systèmes de transport terrestre de Singapour. Pour information, le réseau de transport terrestre est particulièrement étendu, avec plus de 160 km de voies rapides couvrant l’île, un réseau de métros de plus de 200 km et 120 km de pistes cyclables. Il développe également une vision plus long terme à horizon 2040.

Siemens, comme de nombreuses autres entreprises, est impliqué dans le projet « Smart Nation Singapore », initiative du gouvernement lancée en 2014, qui vise à exploiter les technologies de communication, les réseaux et le Big Data pour créer des solutions techniques innovantes. En outre, Siemens est un partenaire important du LTA.

L’IRT SystemX contribue depuis 2017 aux différents projets de mobilité en rejoignant notamment le CETRAN (Centre of Excellence for Testing & Research of AVs at NTU). Installé à CleanTech Park depuis 2016, dans l’ouest de Singapour, c’est un centre d’essais (en environnement réel), de véhicules autonomes.

Le but est de tester et définir les normes de demain. L’ensemble de travaux géré par SystemX se concentre sur la modélisation et la simulation numériques pour la sécurité, appliquées au transport autonome.

(Source CETRAN)

Trains et métros

Présent à Singapour depuis plus de 20 ans, Alstom est un fournisseur de premier plan de systèmes de métro intégrés, de systèmes de contrôle digital des trains, de matériel roulant, d’infrastructures et de services pour les lignes MRT (Mass Rapid Transit) de Singapour.

La solution Urbalis CBTC (contrôle des trains basé sur la communication) d’Alstom a été pour la première fois mise en service en 2009 sur le réseau CCL (Circle Line). Elle a ainsi donné naissance aux tout premiers métros et trains de banlieue automatisés. Grâce à cette solution, les opérateurs peuvent contrôler avec précision les mouvements des rames, en permettant à un plus grand nombre de trains de circuler sur les lignes à des fréquences et à des vitesses accrues, avec ou sans conducteur, et ce en toute sécurité.

(Source LTA)

Avec son réseau de transports particulièrement dense, Singapour a de nombreux projets de modernisation.

Alstom et SMRT Trains (opérateur ferroviaire à Singapour), avec le soutien du LTA, ont signé un accord en 2020 qui garantira la fiabilité et la disponibilité du système de contrôle des trains sans conducteur installé par Alstom sur le vaste réseau CCL. Cet accord de service à long terme est le premier du genre pour une ligne MRT à Singapour. Le contrat s’étendra sur une durée de 16 ans et inclura des garanties de performances pour l’intégralité de la période concernée.

Taxis et voitures

En août 2016, sous le contrôle de la société américaine nuTonomy (startup issue du MIT) les premiers taxis sans chauffeur ont commencé à circuler à Singapour dans une zone limitée. C’était une première mondiale et une avancée importante dans la course au transport de personnes par véhicule autonome.

Les six taxis (des voitures électriques Renault Zoe et Mitsubishi i-MiEV) roulaient dans un espace de quatre kilomètres carrés, avec des endroits désignés pour prendre et déposer des passagers.

(Source nuTonomy)

Peu après, nuTonomy s’est associé à d’autres constructeurs comme le groupe PSA (Stellantis) pour adapter des véhicules 3008 avant de se faire racheter par la société Aptiv en 2017.

Une autre société française, Systra, est partenaire du projet de recherche ASV (Automated driving Simulation & Validation) pour valider la sûreté de fonctionnement du véhicule autonome.

Mené conjointement avec l’IRT SystemX et l’Université NTU (Nanyang Technological University) de Singapour, ce projet a pour but de développer une plateforme de simulation numérique pour tester et valider la sûreté de fonctionnement des véhicules autonomes en milieu urbain et péri-urbain.

L’ensemble des travaux de recherche sont menés au sein de la NTU et sur son circuit de tests de 1,8 hectare (CETRAN). Des véhicules autonomes sont testés dans cet environnement clos pour explorer des scénarios de tests sous différentes conditions climatiques, de valider les modèles de perception et de décision du véhicule vis-à-vis de son environnement à travers différents cas d’usage.

L’objectif du projet est double : établir des standards internationaux et valider la sûreté de fonctionnement des systèmes de conduite autonome.

Navettes et bus

Minibus

En août 2019, le premier service de navette sans chauffeur a été déployé sur l’île de Sentosa au sud de Singapour. Cette collaboration entre la société ST Engineering et le ministère des Transports prend la forme d’un véhicule pouvant accueillir jusqu’à 10 personnes et parcourir 25km (le parcours prévu initialement fait environ 6 km).

(Source ST Engineering)

Pour des raisons de sécurité, chaque véhicule a un chauffeur de sécurité formé pour prendre la relève en cas d’urgence.

Les véhicules sont équipés de diverses technologies, notamment de Lidar et de systèmes GPS, et sont pris en charge par le système de gestion de véhicule autonome de ST Engineering, qui analyse la demande de passagers et optimise la gestion des itinéraires.

Un peu plus tôt, en mars 2019, ST Engineering avait déjà annoncé un accord avec la firme chinoise BYD pour tenter de déployer des bus sans conducteur à Punggol, Tengah et dans le district du lac Jurong, dans le cadre d’un essai qui devrait s’ouvrir en 2022.

En janvier 2021, Singapour a également commencé à tester l’exploitation commerciale de bus autonomes (toujours construits par ST Engineering) dans le quartier de Science Park, une zone d’activités high-tech, mais en dehors des heures de pointe.

Navettes

Toujours en été 2019, l’opérateur de transport ComfortDelGro, en collaboration avec l’Université nationale de Singapour (NUS) et la start-up française EasyMile, ont lancé un essai d’un service de navette autonome sur le campus de NUS.

Fin 2019, lors du congrès ITS réunissant les acteurs mondiaux de la mobilité intelligente à Singapour, le français Navya a mis en service deux navettes Autonom Shuttle dans Garden by the Bay, l’un des plus incroyables parcs de la ville.

(Source Navya)

Ces navettes Autonom Shuttle sont une version améliorée de l’Auto Rider, premier transport collectif autonome du parc mis en service en 2015 avec la possibilité de transporter plus de passagers sur de plus longues distances.

Autobus

En mars 2019, le premier autobus développé par le constructeur automobile Volvo et l’Université de technologie de Nanyang (NTU) a réalisé ses premiers essais. Testé sur le campus de l’université, le Volvo 7900 est le premier de sa catégorie à être totalement électrique et entièrement autonome.

Avec ses 12 mètres de long, le bus peut transporter 80 personnes. La conduite autonome se fait grâce à des capteurs de détection et des caméras installées sur le bus. L’ensemble est relié à un système de navigation qui permet de savoir en permanence où se trouve le véhicule de manière précise.

Les données récoltées durant les phases de tests sur le campus de l’université doivent permettre de corriger les problèmes éventuels avant la mise sur route.

(Source NTU)

Toujours à la pointe

Avec sa stratégie à moyen / long terme et grâce à son économie dynamique, la cité-état de Singapour se donne les moyens de réaliser ses objectifs en matière de développement d’infrastructures et de solutions de mobilités autonomes.

La ville concentre toutes les technologies les plus avancées au service de ses administrés. La politique de partenariats publics / privés permet d’attirer et de fidéliser les entreprises à la pointe du domaine. La recherche académique est également stimulée. Bref, tout le monde semble y trouver son compte.

Cependant, il ne faut pas non plus oublier le revers de la médaille comme la politique de surveillance accrue des citoyens avec un système d’identité basé sur la reconnaissance faciale. Et toutes les technologies déployées ne fonctionnent correctement que grâce aux données des utilisateurs, récoltées de manière consentante ou non.

Je ne sais pas si ce modèle de développement est totalement transposable dans d’autres pays (en France notamment) et s’il est souhaitable d’ailleurs (en l’état actuel) mais il mérite tout de même notre attention.