Conférence INCODTRIN 2020 : Smart Cities et Mobilité intelligente

Cette année, j’ai eu le grand plaisir de participer à INCODTRIN (International Conference Of Digital TRansformation and INnovation).

Cet évènement virtuel était organisé par l’UTE (Université de Technologie d’Equateur) à Quito, les 28, 29 et 30 octobre afin de faire un état des lieux des tendances en matière de transformation numérique, IoT, Big Data, Machine Learning, Blockchain et Smart Cities. Il se voulait également un espace de discussion entre partenaires académiques, entreprises publiques et privées.

J’étais invité à m’exprimer le 30 octobre lors d’une table ronde sur les moyens de favoriser l’évolution de la mobilité des citoyens. L’intervention originale étant en espagnol, je vous propose ici une retranscription en français de mon propos liminaire.

Quelques chiffres pour commencer

Selon les sources de l’OCDE

En 2019, dans les pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), les villes représentent 60% du PIB et des emplois. En 2050, 70% de la population sera dans les villes.

Cependant ces mêmes villes sont responsables de 70% des émissions de gaz à effet de serre, des deux-tiers de la consommation énergétique mondiale et de 50% de la production de déchets solides.

Worldwide Megacities Mobility & Urban Life Survey 2018

Selon cette étude réalisée sur 28 villes dans 15 pays, 92% des gens souffrent en ville, principalement à cause du trafic automobile (53%), de la pollution (42%), du bruit et du manque de place de stationnement (41%). Les nouvelles technologies pourraient néanmoins résoudre ces problèmes.

De plus, 89% des citadins pensent que la voiture est le meilleur moyen de se déplacer car elle est confortable (69%), pratique et commode (37%). Le plaisir de conduire est également encore très présent (35%). Nota Bene : en Amérique Latine, la population pense que la voiture est surtout un élément de sécurité.

Sur le plan de la mobilité multimodale en semaine, 41% des habitants utilisent 2 moyens de transport ou plus : 46% en Asie (Chengdu 6%, Pékin 84%), 44% en Amérique (Los Angeles 18%, Mexique 60%), 35% en Europe (Londres 15%, Varsovie 56%). On note de grandes disparités selon les continents et les villes. Cela dépend de facteurs culturels et environnementaux.

Concernant la voiture du futur, 21% pensent qu’elle sera moins importante. Mais 65% d’entre eux ressentent le besoin d’avoir une forte intervention et implication publique pour faire changer les modalités de déplacement et les mentalités : 87% en Asie, 71% en Amérique, 48% en Europe.

De l’Automobilité à la Multimodalité

Progressivement nous devrions passer de l’Automobilité qui est une approche égoïste, sujet à des comportements potentiellement dangereux, à la Multimodalité qui vise un partage des capacités de déplacement pour une utilisation plus optimale des ressources et des transports (voitures, bus, trains, etc).

Mais cela nécessite aussi un changement de mentalité et une réflexion profonde sur un autre modèle de société.

Smart City et Mobilité intelligente

Définition

La mobilité intelligente est la capacité de se déplacer d’un lieu A vers un lieu B avec des moyens de transport rapides, économiques, durables et sûrs.

Nous pouvons ou devons nous déplacer pour des raisons économiques (aller travailler par exemple) mais aussi sociales (voir nos amis et notre famille, voyager pour le plaisir, en fonction de nos centres d’intérêt).

La Mobilité Intelligente dans la Smart City

Source ONTSI 2015

La mobilité intelligente s’inscrit dans le concept de Smart City où l’on retrouve :

  1. Smart Environment : gestion de l’énergie, de l’eau et des déchets, etc ;
  2. Smart Economy : entreprises de l’économie numérique, des commerces, tourisme, écosystème d’innovation, etc ;
  3. Smart People : inclusion numérique et collaboration citoyenne ;
  4. Smart Living : santé, éducation, culture, sécurité, urgences, urbanisme, infrastructures publiques, équipements urbains, etc ;
  5. Smart Governance : informations géographiques, administration numérisée, planification stratégique, transparence, etc ;
  6. Smart Mobility : accessibilité, infrastructures routières, transports publics, gestion du trafic et de la connectivité, stationnement, etc.

Description

La mobilité intelligente peut s’articuler principalement autour de 3 thèmes :

  1. Technologie et Informatique ;
  2. Moyens économiques ;
  3. Volonté politique.

Technologie et Informatique

Les solutions de mobilité peuvent s’appuyer sur un ou plusieurs écosystèmes de capteurs (feux de circulation, panneaux de signalisation, routes ou encore voitures connectées).

Pour transporter les informations, il faut faire appel aux réseaux téléphoniques dans la majorité des cas. Cependant il n’est pas forcément utile de se baser systématiquement sur des infrastructures 4G/5G. En effet, le haut débit n’est requis que pour des besoins de temps réel pour d’importantes quantités de données. Des protocoles plus légers peuvent être employés pour des données de capteurs de comptabilisation, par exemple, du nombre de véhicules dans une zone géographique limitée à des fins statistiques. Ce type de réseau bas débit est en outre moins gourmand en énergie.

Evidemment il faut gérer toutes les données générées et transmises d’une manière éthique et sûre, respectueuse de la RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données). Pour le stockage et le traitement, on peut utiliser des grands centres de données privés (Cloud Azure, Amazon ou autres) ou publics. De plus, il est possible d’envisager des centres de traitements locaux au plus proche des problématiques.

En effet, avec l’amélioration des solutions de capteurs et d’IoT en général, ainsi que la miniaturisation des composants de traitements de modèles d’apprentissage automatique, il deviendrait assez commode d’implanter des unités locales de stockage et de traitement, peu consommatrices en énergie mais suffisante pour fournir des résultats ou des données statistiques.

Au-delà de l’utilisation d’algorithmes de Machine Learning, il faut également évoquer l’importance des Systèmes Multi-Agents (SMA) qui peuvent contribuer à modéliser et à simuler des systèmes complexes comme les dynamiques urbaines, entre autres.

Tous les éléments précédemment cités peuvent être regroupés sous le terme de Systèmes de Transport Intelligents (STI) ou en anglais Intelligent Transportation Systems (ITS). Selon Wikipedia, « on les dit intelligents parce que leur développement repose sur des fonctions généralement associées à l’intelligence : capacités sensorielles et de choix, mémoire, communication, traitement de l’information et comportement adaptatif. On trouve les STI dans plusieurs champs d’activité : dans l’optimisation de l’utilisation des infrastructures de transport, dans l’amélioration de la sécurité (notamment de la sécurité routière) et de la sûreté ainsi que dans le développement des services. »

Moyens économiques

Les moyens technologiques existent mais pour les développer, les acheter, les déployer et les entretenir, il faut souvent des financements très importants. Cela ne peut se faire qu’en cumulant diverses sources d’argent public et privé sur plusieurs années.

De plus, ces financements sont souvent dépendants des structures administratives de gestion : ville, métropole, communauté de communes, département, région ou état.

Enfin des initiatives locales ou nationales peuvent fédérer les ressources et les appels d’offre le cas échéant.

Volonté politique

Mais rien ne pourrait se mettre en place sans une forte volonté politique définissant un cadre, une vision commune, partagée et indépendante des partis. Car ce sont des engagements coûteux et à inscrire dans la durée.

De ce fait, il est tout aussi important d’intégrer la population le plus tôt possible dans les processus de choix et de décision afin d’emporter l’adhésion. Il est crucial de générer la confiance nécessaire à l’élaboration de politiques modifiant parfois radicalement les infrastructures de transport, les sens de circulation et les zones de stationnement.

Il faut convaincre de l’utilité de tels changements et s’assurer d’améliorer la vie quotidienne de ses concitoyens.

Nouvelles mobilités

Un constat préalable : des sources de gaspillage

La première source de gaspillage est le voyage inutile : prendre sa voiture pour aller au coin de la rue par exemple ou la prendre 4 ou 5 fois dans une même journée sans regrouper ou optimiser les déplacements.

De plus, les études montrent que la flotte de véhicules est largement sous-utilisée. Un véhicule privé passe 97% du temps en stationnement et le nombre moyen de passagers par véhicule est inférieur à 2 personnes.

De nombreux problèmes de circulation dus à des congestions routières (grand nombre de personnes cherchant à se déplacer en même temps), des accidents, des travaux de toute nature ou des fermetures dues à des manifestations et autres événements, entrainent des temps d’attente très longs et improductifs.

Enfin la pollution (émissions diverses) et le bruit généré par les véhicules réduisent la qualité de vie.

Mobilités collaboratives

Je pense que la nouvelle norme sera la mobilité collaborative basée sur des initiatives individuelles (entre voisins par exemple) avec du covoiturage ou de l’éco-partage mais aussi basée sur des initiatives collectives (via des applications Web ou mobiles).

Ces applications utilisent les données fournies volontairement par les individus (interactions sociales et/ou actions manuelles comme avec Waze pour les déplacements en voiture par exemple) ou fournies automatiquement par des ressources techniques et informatiques (capteurs, IA, IoT, ITS, etc) mais avec la recherche d’un accord explicite des utilisateurs (RGPD oblige) via des contrats de service.

Les objectifs naturels sont toujours les mêmes : fluidification du trafic, rationalisation et optimisation des itinéraires.

Enfin ces systèmes doivent réussir à gérer les interactions entre les personnes et les moyens de transport. La mise en adéquation en quasi temps réel des besoins et des moyens sera la clé du succès !

Mobilité multimodale

C’est l’usage de différents moyens de transport pour atteindre une destination, que ce soit pour les personnes mais aussi pour les marchandises.

Cette multimodalité est possible grâce à l’emploi de nouveaux services de surveillance et de contrôle (avec les réseaux mobiles et téléphoniques, des capteurs en ville, etc) mais aussi de cartographie HD (temps réel avec événements locaux) avec les solutions de la société HERE Technologies par exemple.

Il existe déjà de nombreux acteurs publics (régions, communes) et privés avec des initiatives locales ou nationales mais cela nécessite coordination et mutualisation des ressources.

Mobilité comme un service

Ce nouveau mode de déplacement s’articule désormais autour du concept de MAAS (Mobility As A Service). Il s’agit de s’éloigner de la modalité du transport personnel dans son propre véhicule pour aller vers des solutions de mobilité utilisées en tant que service ou combinaison de services de transport, de prestataires de transports publics et privés en créant une passerelle unifiée pour créer, payer et gérer un voyage.

Par exemple : MaaS Madrid, application officielle de l’EMT Madrid (Empresa Municipal de Transportes de Madrid) et qui fédère des dizaines d’applications.

Ecosystème des services de mobilité à Madrid

Chances, limites et risques

Par chance, les mentalités évoluent et les préoccupations environnementales sont maintenant partagées par (presque) tout le monde.

Nous nous dirigeons progressivement vers une économie de partage (capacité à louer des biens ou services excédentaires) mais il reste souvent le problème du « dernier kilomètre » notamment dans les zones péri-urbaines.

Cependant les conditions d’emploi de certaines technologies, le caractère éthique de la gestion de données, les impacts sociétaux et réglementaires sont encore à évaluer finement.

Enfin il existe toujours une possibilité de rejet par la population s’il n’y a pas de confiance dans ces nouveaux systèmes ou si les différents acteurs (publics et privés) abusent de leur position pour détourner leurs usages.

Conclusion

Georges Amar décrivait ce nouvel Homo Mobilis dans son ouvrage de 2011.

C’est un changement de paradigme, le passage du transport à la mobilité avec une triple mutation : des usages, des outils et des acteurs.

Le centre de gravité se déplace de la voiture à la personne. C’est une révolution de l’espace et du temps. Ce fameux temps de la mobilité qui passe d’un temps d’attente à un temps de transition. Il n’y a plus de localisation figée mais une intersection de chemins (concept de « lieu mobile »).

Cette diversité modale se transforme en principe d’écologie urbaine où l’hybridation entre le virtuel et le physique est de plus en plus forte.